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Dialogue avec Gérard Beaudet


Le doyen Raphaël Fischler s’entretient Gérard Beaudet ses deux livres récents : Banlieue, dites-vous ? La suburbanisation dans la région métropolitaine de Montréal (P.U.L., 2021) et Le transport collectif à l’épreuve de la banlieue du Grand Montréal (P.U.L., 2022); préface de Paul Lewis.

Tu es le récipiendaire du Prix Ernest-Cormier 2021, le Prix du Québec dans les domaines de l’aménagement du territoire, de l’architecture et du design québécois.  Cette distinction t’a été accordée en partie pour ta contribution à la connaissance et à la conservation du patrimoine bâti québécois.  Tu t’intéresses donc beaucoup à l’histoire ?  Pourquoi ?  D’où te vient cette passion ?

J’ai toujours été intéressé par l’histoire. Cet intérêt s’est raffermi au début de mes études à la faculté, tant en ce qui concerne l’histoire de l’architecture en général qu’en ce qui concerne celle de l’architecture traditionnelle québécoise à laquelle j’ai été sensibilisé dans le cadre des travaux réalisés sous la direction de Laszlo Demeter. La fréquentation de géographes, dont Gilles Ritchot et Jean Décarie, a aussi eu une influence décisive sur mon intérêt pour les temps longs de la construction de l’établissement. Cela m’a inévitablement conduit à chercher du côté des historiens les explications du pourquoi et du comment du façonnage de cet établissement. Et une fois tombé dans la marmite, on ne s’en remet pas. Tous mes enseignements sont teintés, d’une manière ou d’une autre, par ce que nous enseignent la géographie et l’histoire. C’est évidemment le cas du cours Histoire de l’urbanisme, comme ce l’est des cours Le Québec urbain, Stratégies de mise en œuvre et Mise en valeur des ensembles urbains. Comme bon nombre de mes écrits et plusieurs de mes conférences, que ce soit en urbanisme, en patrimoine, en tourisme, en paysage, voire même mon essai Les dessous du Printemps étudiants, comportent une dimension historique; certains pensent même que j’ai aussi une formation d’historien.

Qui dit « histoire » et « patrimoine » ne dit pas nécessairement « banlieue ».  Pourquoi un historien et un défenseur du patrimoine s’intéresse-t-il à la banlieue ?  En quoi la banlieue est-elle un objet digne de connaissance et de reconnaissance ?

J’ai grandi à Saint-François, une des quatorze municipalités qui seront fusionnées pour créer la ville de Laval. Nous habitions dans ce qui était alors une campagne agricole festonnée, comme l’aurait écrit Blanchard, de modestes chalets. Mais mon univers scolaire et sportif était essentiellement banlieusard. Le nombre de kilomètres parcourus par mon père pour m’accompagner au baseball et au hockey ferait frémir les environnementalistes les plus conciliants. Mon urbanité s’esquisse avec mon entrée au CEGEP Bois-de-Boulogne, se poursuit lors de mes études en architecture, puis avec mon installation à Montréal et la poursuite de mes études en urbanisme. Ma pratique professionnelle chez Sotar m’amène néanmoins à renouer avec la banlieue. Les bureaux de l’agence sont situés boulevard Saint-Martin à Laval et nous travaillons pour plusieurs municipalités de banlieue, dont Terrebonne, Saint-Louis-de-Terrebonne, Oka, L’Assomption, L’Épiphanie, Repentigny.

Bien qu’installé en ville depuis la mi-vingtaine, j’ai toujours conservé une attirance pour la banlieue et ses différentes déclinaisons. C’est incidemment pourquoi j’ai souvent accompagné des collègues en visite à l’Institut et des étudiants pour leur faire découvrir le grand Montréal. Et depuis quelques années, un nombre croissant d’étudiants m’ont demandé de les diriger dans des travaux consacrés à la banlieue.

En ce qui concerne la dignité de la connaissance/reconnaissance, il suffit de rappeler que la suburbanisation est un phénomène marquant du XXe siècle, que plus de la moitié de la population canadienne et étasunienne vit en banlieue et que de nombreux urbains partagent certaines valeurs avec les banlieusards honnis. Il n’y a, pour s’en persuader, qu’à parcourir les ruelles des quartiers gentrifiés et qu’à jeter un coup d’œil par-dessus les palissades à l’arrière desquelles se cachent des cours éminemment banlieusardes.

Au début de ton livre sur l’histoire de la banlieue montréalaise, tu fais bien ressortir la double valence, positive et négative, de la périphérie urbaine.  On peut même parler de relation d’amour et de haine envers la banlieue.  En quoi cette ambivalence est-elle constitutive de la banlieue, historiquement parlant, et en quoi est-elle toujours au cœur de notre vision de la banlieue aujourd’hui ?

Il faut d’emblée préciser que les banlieues dont je parle sont celles de l’évasion résidentielle et non pas la banlieue au sens administratif du terme, c’est-à-dire l’ensemble des municipalités autonomes qui entourent une ville-centre. J’exclue donc les municipalités créées dans le dernier quart du XIXe siècle et au début du XXe à l’instigation des grands propriétaires fonciers et des promoteurs immobiliers pour attirer industries et ouvriers.

Cette banlieue s’est d’entrée de jeu construite contre la ville qu’on cherchait à fuir. On en trouve les premières manifestations en Grande-Bretagne dès la fin du XVIIIe siècle. Tant qu’elle est associée à quelques nantis, elle a été parée de vertus, tout comme les bastions de la villégiature bourgeoise. D’autant plus que les sites ciblés par leurs promoteurs sont eux-mêmes dotés d’attributs auxquels on accorde une grande valeur. Mais on oublie que des voisinages d’évasion plus que modestes, voire carrément précaires – les Shack Towns, parfois nommés Casimirville dans le Grand Montréal – sont créés dès le tournant du XIXe au XXe siècle. Et que ces voisinages, dont on trouve plusieurs exemples dans la région métropolitaine – dont la trop célèbre ville Jacques-Cartier −, reproduisent les carences des habitats faubouriens, voire en amplifient certaines, notamment en occupant des lieux impropres à l’urbanisation. Ces dernières restent évidemment dans l’angle mort de l’apologie de la banlieue, comme elles sont passablement absentes du regard nostalgique porté sur la banlieue pavillonnaire des Trente Glorieuses qu’on voit émerger depuis quelques années.

La démocratisation de la banlieue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale l’aurait rendue insipide. D’autant que les tentatives de lui donner plus de substance, par exemple celle de Victor Gruen de faire des centres commerciaux de véritables lieux d’une centralité citoyenne, ont échoué presque systématiquement. Mais le mauvais rôle dans lequel on confine la banlieue est aussi en partie attribuable à la revalorisation de l’urbain dans les années 1960 et 1970, que ce soit à travers les écrits de Jane Jacobs et d’autres ou à la faveur de la patrimonialisation. Alors que les bastions de la villégiature ont conservé leur aura, y compris en raison de la place qu’on y accorde à la culture (voir par exemple l’histoire des théâtres d’été, du centre d’Arts Orford ou du domaine Forget dans Charlevoix), la banlieue de classe moyenne en a été d’emblée privée. La fréquentation des lieux culturels de la grande ville par les banlieusards constituait d’ailleurs, jusque dans les dernières années du siècle dernier, une forme d’aveu d’inculture.

Bien que le regard condescendant de certains urbains, y compris de nombreux confrères et consœurs aménagistes, persiste, il est manifeste que l’autonomie acquise par les banlieues, notamment en termes de culture, d’emplois et de services institutionnels, a contribué à changer la donne. Que des artistes lancent désormais leur tournée québécoise à la salle l’Étoile du Dix-30 en dit beaucoup sur le changement de perspective, plus en tous cas que la tentative des promoteurs du centre commercial de donner un air d’urbanité à certaines de ses sections. S’il n’y a plus nécessairement de honte à habiter en banlieue, du moins pour certaines d’entre elles, on n’en continue pas moins à lui attribuer le mauvais rôle, notamment en raison de ses piètres performances environnementales.

Quant à la résistance à la densification, elle montre bien que certaines valeurs qui ont fondé l’attrait de la banlieue et en ont dicté les attributs sont toujours d’actualité. On peut d’ailleurs voir dans la prégnance de cet attrait une des causes de la poursuite de l’étalement urbain. La banlieue se fuit elle-même dès que certains de ses attributs primitifs sont perdus ou altérés. Dans un reportage réalisé par un journaliste de Radio-Canada durant la campagne électorale de l’automne 2021, de nouveaux résidents de Mirabel disaient souhaiter que l’administration municipale fasse tout pour que leur ville ne devienne pas un second Laval. Si l’adage Drive Until You Qualify reste d’une grande pertinence, il n’explique pas à lui seul la dynamique de suburbanisation.

Tes deux livres portent en grande partie sur la transformation de la banlieue dans les dernières décennies.  Qu’est-ce qui a fait changer la banlieue traditionnelle d’après-guerre dans les trente dernières années ?  Et maintenant, comment la pandémie pourrait-elle accélérer, infléchir ou contredire certaines tendances que tu observes ?

La banlieue s’est beaucoup transformée mais elle est surtout d’emblée beaucoup plus diversifiée que les stéréotypes le suggèrent. Des ouvriers très modestes tentent, grâce au tramway et à l’autoconstruction, d’y échapper dès l’entre-deux Guerres, aux difficiles conditions de vie des quartiers industriels. D’autres optent massivement pour le duplex afin d’accéder à la propriété. Il faut aussi se rappeler qu’on a évoqué, dans les années 1980, le retour en ville des parents enfin libérés de leurs enfants, retour qui ne s’est pas produit, d’où la construction, à compter des années 1980, d’édifices à logement locatifs ou de condos destinés aux ex occupants des nids désormais vides. La vague des nouvelles bibliothèques et des salles de spectacle dotées d’installations de pointe remonte aussi aux années 1980.

La densification en cours n’a d’ailleurs pas attendu l’adoption du PMAD pour se mettre en branle. Les promoteurs ont en effet rapidement saisi les opportunités de marché engendrées par le vieillissement de la population, la fragmentation des ménages et la difficile entrée sur le marché des jeunes adultes. Le fait que la réponse à ces dynamiques socioéconomiques soit souvent très décevante du point de vue architectural et urbanistique tient d’ailleurs pour beaucoup au fait que la transformation de la banlieue a généralement échappé au leadership des municipalités qui, contrairement aux promoteurs, ne l’ont pas vu venir.

Quant à la pandémie, elle a donné du galon à la banlieue. Elle a agi en quelque sorte comme l’ont fait l’insalubrité et les grandes épidémies en deuxième moitié du XIXe siècle et dans les premières décennies du XXe. Sa valeur de refuge a certainement conforté ses défenseurs. Ce qui n’étonne guère quand on sait que les banlieusards sont globalement plus satisfaits de leur milieu de vie que les urbains. On comprend facilement que, quand les inconvénients de la ville sont exacerbés, la banlieue ne peut qu’en sortir valorisée. Il est par ailleurs d’autant plus difficile d’évaluer les conséquences durables de la pandémie que le problème est généralement défini sur la base d’une opposition binaire ville centre et quartiers centraux vs banlieue. Or, comme je le montre, la banlieue est depuis longtemps plurielle. La quatrième couronne n’est pas la réplique des précédentes qui seraient, quant à elles, restées pareilles à elles-mêmes. Il s’agit de milieux d’une très grande complexité qui répondent de manière très contrastée aux défis auxquels nous avons à faire face.

Est-il juste de dire que la banlieue québécoise contribue à l’américanité des Québécois ?  Oui, non, pourquoi ?

Oui et non. Noppen et Morisset ont montré que le bungalow québécois est une adaptation. Il en est de même de la banlieue. D’une part, la suburbanisation québécoise n’a jamais connu l’ampleur de ce qui s’est produit aux États-Unis. Rien qui s’apparente, même de loin, à Levittown. D’autre part, le ressort de la banlieue québécoise échappe à cette motivation odieuse qu’a été le racisme étatsunien. Le refus d’autoriser les gated communities et les villes privées s’explique incidemment par cette distinction importante entre les deux manières de concevoir le rapport à l’autre (ce qui ne nous place pas de manière vertueuse à l’abri des tentations ségrégatives). Il n’en reste pas moins qu’en ce domaine comme en beaucoup d’autres, il nous est difficile d’échapper à l’influence de notre voisin. D’autant, faut-il le rappeler, que notre culture matérielle est depuis longtemps traversée d’influences anglo-saxonnes, ce qui nous prédispose aux emprunts.

Un des grands reproches que l’on fait à la banlieue est la dépendance à l’automobile de la plupart de ses habitants.  On essaie depuis une trentaine d’années de mieux faire pénétrer les transports en commun dans la périphérie de Montréal, que ce soit dans l’est de l’île de Montréal ou sur la Rive-Nord et la Rive-Sud.  Quel bilan fais-tu de ces efforts ?  En particulier, vois-tu les trains de banlieue et le REM comme des outils de lutte à l’étalement urbain ou comme des outils d’amplification de la périurbanisation ?

Les efforts sont louables mais les résultats sont généralement de modestes à minables. Les raisons sont multiples. D’une part, la banlieue a été conçue et fabriquée en tirant habilement parti des avantages considérables de l’automobile sur les autres modes de transport. D’autant plus efficacement que le transport collectif était considéré comme un pis-aller dont on s’occupait sans convictions et sans moyens, voire qu’on ignorait tout simplement. Le mariage de raison entre la banlieue et l’automobile s’est révélé d’autant plus durable que les deux partenaires n’ont pas eu à faire preuve de résilience. Rien ne l’a véritablement menacé, exception faite des chocs pétroliers. D’autre part, les conditions propices à la percée du transport collectif ne sont généralement pas réunies. La densification de la banlieue se fait en mode dispersé, sans véritable arrimage aux points d’accès au transport collectif, par ailleurs très déficient en termes de qualité, et sans jamais atteindre, sauf exceptions, une taille suffisante pour que se constituent des voisinages de proximité complets. Aussi, même quand des voisinages comptent quelques milliers de logements, les résidents restent captifs de l’automobile, et ce, d’autant plus facilement qu’ils sont des captifs consentants.

REM et trains de banlieue peuvent par ailleurs difficilement contrer l’étalement urbain dans la mesure où les stations dotées de stationnements incitatifs sont une invitation à coupler automobile et transport collectif. L’exemple de la station terminale du REM à Brossard est particulièrement explicite. Non seulement y trouve-t-on 3 000 places pour les voitures mais on prévoit ajouter une voie à l’autoroute 30 pour la décongestionner! Le TC n’est évidemment qu’un des rouages de l’étalement. La déconcentration de l’emploi à laquelle on a laissé libre cours depuis plus de quatre décennies a aussi joué un rôle déterminant. Alors qu’on anticipait que le phénomène entraînerait un rapprochement des lieux de résidence et de travail et, par conséquent, une diminution des distances parcourues, c’est le contraire que démontrent les études récentes réalisées aux États-Unis.

Dans ce contexte, on peut difficilement s’étonner que le bricolage du réseau du transport collectif auquel on s’est adonné depuis plusieurs décennies (en fait depuis la construction du métro) ait donné des résultats si décevants.

On ne peut pas parler de transports en commun sans parler du REM de l’Est.  Tu t’es fortement impliqué dans ce dossier, en t’inscrivant contre le projet.  Tes critiques et celles d’autres personnes semblent avoir porté fruit.  Quel lien peut-on faire entre cette critique et les deux livres dont nous parlons ?  En quoi est-ce que le travail d’analyse que tu as effectué pour rédiger tes deux livres sous-tend les textes que tu as publiés dans les journaux et d’autres publications sur le REM de l’Est ?

Écrire ne vise pas qu’à rendre disponible au lecteur les résultats d’une réflexion. L’écriture porte la réflexion. Le propos des textes publiés plus ou moins régulièrement dans La Presse ou Le Devoir est inévitablement influencé par ces réflexions inscrites dans la longue durée et fondées sur une expérience de terrain bien enracinée. Mais la production de textes de quelque 800 mots a ses exigences, notamment en termes de synthèse. Je dirais même qu’il est plus facile d’inclure ces courts textes dans un ouvrage que l’inverse. Comme je le dis souvent aux étudiants, il est beaucoup plus difficile de faire court. Quant aux deux ouvrages, bien que comportant une dimension critique, particulièrement celui sur le transport collectif, ils permettent d’établir un rapport moins immédiat à leur objet. D’autant que l’un et l’autre proposent une mise en perspective historique.

Pour en revenir au REM, je dois avouer que j’ai rarement vu des responsables de projet fournir autant d’occasions d’une critique radicale. Ce dossier a révélé leur impréparation, leur amateurisme et leur insensibilité. Je dirais que ces textes mobilisent le citoyen, l’intellectuel et l’expert qui, chacun à sa façon, désapprouve le projet et réprouve la manière de faire de ses responsables. Quant au dossier paru dans l’Action Nationale, il est le résultat d’une demande de l’éditeur et d’une volonté de quelques autres citoyens engagés – et extrêmement compétents – de participer à un débat indispensable.

Que ce soit dans ton livre ou dans tes textes d’opinion dans les médias, quel message essaies-tu de faire passer aux élus, promoteurs et autres décideurs sur l’avenir de la banlieue ?  Que devrions-nous faire, collectivement, pour maximiser les bénéfices et minimiser les inconvénients du développement périphérique ?

Dans un premier temps, il me semble primordial de reconnaître qu’on ne peut se contenter de dénigrer ce qui constitue, géographiquement, la partie le plus considérable de l’établissement métropolitain et, au surplus, le lieu de résidence de la moitié de la population et l’assise d’une proportion substantielle de l’économie régionale. Il me semble par ailleurs indispensable d’admettre que les envolées incantatoires des aménagistes n’ont pas donné grand-chose au cours des dernières décennies. Il faut à mon sens poser le problème autrement, par exemple en comprenant que le modèle de la ville centre entourée de ses banlieues qui dépendent d’elle ne tient plus la route depuis longtemps, quoi qu’en pensent ceux qui ne franchissent pas suffisamment souvent les ponts qui ceinturent l’île de Montréal.

Il me semble aussi nécessaire de comprendre quel coût l’absence durable de leadership, tous paliers de gouvernement confondus, nous impose. Un coût d’autant plus lourd que nous sommes une société à croissance modeste, ce qui réduit considérablement notre marge de manœuvre. Par exemple, en matière de densification, puisque, comme je l’ai souvent fait valoir, celle-ci suppose un nombre équivalent de ménages aux unités résidentielles produites (en faisant évidemment abstraction des unités détruites pour laisser place à cette densification).

Difficile, dans les circonstances, d’être enthousiaste au regard des résultats hautement prévisibles de l’élection de l’automne prochain. Le gouvernement caquiste, bien qu’ayant convié les citoyens à s’engager dans une grande conversation sur l’aménagement du territoire et l’urbanisme, ne s’est en effet pas montré particulièrement progressiste et novateur en la matière, et c’est peu dire. Il nous reste à souhaiter que les ratés innombrables du dossier du REM, combiné à la sensibilité d’une nouvelle cohorte d’élus municipaux, nous permettra de comprendre qu’il nous faut définitivement tourner la page sur un modèle qui a fait son temps et faire véritablement les choses autrement.

Pour revenir à notre point de départ, comment vois-tu l’apport de l’historien à la formation des professionnels de l’urbanisme, de l’architecture, du design ?

Dans un de ses ouvrages, John K. Galbraith soutient que si les économistes avaient plus de mémoire, ils se couvriraient moins souvent de ridicule. Je pense que cela vaut pour toutes les disciplines. La propension naïve à réinventer la roue est souvent présente. Connaître l’histoire impose une certaine humilité. Par ailleurs, la mise à distance que permet le passage du temps donne à l’historien la chance de mieux apprécier les facteurs de réussite et d’échec des projets. Cette distanciation critique me semble précieuse dans la mesure où notre petit côté démiurge nous amène souvent à nous attribuer les réussites − après tout nous sommes des concepteurs et des planificateurs de talent – et à tenir les autres − les décideurs, les citoyens, les clients, les financiers, les promoteurs, les exécutants – responsables des échecs ou des ratés. L’historien de la discipline, comme celui qui s’intéresse à l’ensemble de la société, est par conséquent plus important qu’on ne l’admet trop souvent.