Début janvier 1998. Une mer de glace tombée du ciel et s’étendant de l’Est ontarien à la frontière du Nouveau-Brunswick paralyse tout le sud du Québec. Trois mille kilomètres de lignes électriques s’affalent, et plus de 5 millions de personnes sont touchées par au moins une panne durant cette crise du verglas. C’est le cas de Jean Paré, qui habite à l’époque à Notre-Dame-de-Grâce, à Montréal.
« Nous avons été 3 semaines sans électricité, se souvient-il. J’ai vécu cette période très difficilement, habitant avec ma famille chez des amis, chez mes frères. Il a fallu bouger 2 à 3 fois. »
Il ne sait pas à ce moment-là que, quelques semaines plus tard, il intégrera la Commission Nicolet, du nom de l’ingénieur Roger Nicolet, chargé d’enquêter sur les circonstances entourant la crise.
« Je faisais partie de l’équipe scientifique qui alimentait la commission, explique-t-il. On m’avait confié la coordination des dossiers environnementaux. Cette expérience a été une occasion exceptionnelle de côtoyer un grand groupe de gens très éclairés. »
Une série de lois-cadres
Des gens éclairés, il en rencontrera d’autres tout au long de son parcours. Sur les bancs de la Faculté de droit d’abord, il n’avait nul autre que Bernard Landry et Pierre Marois comme camarades de cohorte.
Le barreau en poche, il se retrouve au Service juridique d’Expo 67. Mais déjà, l’urbanisme lui tend les bras et il reprend ses études avant d’obtenir un poste dans le prestigieux bureau de Jean-Claude La Haye. Considéré comme l’un des pères de l’urbanisme au Québec, il participe notamment à la création de l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal.
« Le Québec était en pleine ébullition, rappelle M. Paré. Il y avait tout à construire. Les 1ers services d’urbanisme avaient été créés quelques années auparavant. Nous avons vécu une période de turbulence qui allait conduire à une série de lois-cadres propres à moderniser la gestion et le développement des villes. »
Parmi celles-ci, on retrouve la Loi sur la qualité de l’environnement, la Loi sur les biens culturels et la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, la fameuse LAU qui a fait en sorte que les villes cessent de se développer de manière totalement anarchique. À cette époque, Jean Paré est à Gatineau (dans la partie qui s’appelait alors Hull) et travaille pour la Société d'aménagement de l’Outaouais.
« Pendant que la Communauté régionale mettait en place le 1er schéma d’aménagement, indique-t-il, la SAO s'occupait de la localisation des infrastructures et du développement des espaces verts, commerciaux et industriels. » Ce sera pour lui un véritable terrain d’expérimentation qui le mènera dans les années 80 à se lancer dans la planification stratégique, avant de revenir à l’urbanisme, à son compte cette fois.
Il collabore alors avec l’Union des municipalités du Québec, la Société des transports de l’Outaouais, le Bureau d’audiences publiques en environnement, la Commission Nicolet sur le verglas et avec l’UdeM. En 1995, il fait en effet partie de l’équipe qui met à jour le plan de développement du campus de la Montagne.
« Dans mon enfance, j’habitais au croisement des boulevards Décarie et Édouard-Montpetit, raconte-t-il. Les 2 édifices publics que je voyais tous les jours étaient le dôme de l’oratoire Saint-Joseph et la tour de l’UdeM; toute ma vie je suis passé devant. Je reste un fan fini du pavillon Roger-Gaudry et de sa construction de style art déco. Il n’y a pas si longtemps, j’ai encore travaillé sur le plan de développement du nouveau Campus MIL. »
Aussi, il y a 2 ans, à la mort de son fils Alexandre, lui aussi diplômé de l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage, il décide en son honneur de créer la bourse Alexandre et Jean Paré, attribuée désormais chaque année à un futur étudiant de l’École.
Encore des progrès à faire
Alors que nous traversons aujourd’hui une nouvelle crise, Jean Paré ne peut s’empêcher de faire quelques parallèles avec celle du verglas.
« On peut se demander si nous en avons vraiment tiré des leçons, note-t-il. Il y a certes des domaines dans lesquels il y a eu de véritables avancées. Toutes les villes ont maintenant un schéma de couverture de risques, par exemple. Mais dans d’autres sphères, il reste beaucoup à faire. Le rapport Nicolet insistait sur le fait que nous devions mieux prendre en charge les plus vulnérables. Au regard de ce qui s’est passé dans les CHSLD, je crois que nous avons failli. »
Sur le plan de l’urbanisme, M. Paré croit que l’aménagement du territoire a permis de bien desservir la population ces derniers mois. Mais le fait que le virus se soit propagé plus intensément dans les quartiers les plus défavorisés de Montréal, là où la densité de population est la plus importante, est aussi la preuve qu’il y a encore des progrès à faire.
« La future génération d’urbanistes a du pain sur la planche, mais quand je regarde en arrière, je suis assez fier de ce que nous avons construit, conclut-il. Pensez que j’ai commencé à l’époque de Jean Drapeau, alors qu’il n’y avait aucune consultation publique. Nous avons réussi, par exemple, à convaincre le gouvernement de doter Montréal d’un office de consultation publique. Les choses se passent aujourd’hui complètement différemment, et c’est tant mieux. »
Par Hélène Roulot-Ganzmann