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Pour que la vie continue

La vie continue.  Nos étudiants et enseignants ont repris leurs cours et travaillent ensemble à de nouveaux projets en atelier.  Nos chercheurs publient leurs travaux et font de nouvelles demandes de subvention.  Nos techniciens et professionnels rendent des services essentiels et font avancer leurs dossiers.  Les directions des écoles et de la Faculté gèrent les affaires courantes et lancent de nouvelles initiatives.  La Faculté a accueilli ses nouveaux étudiants (en grand nombre), affiche de nouveaux postes de professeurs et entreprend de nouvelles collaborations avec des partenaires internes et externes à l’université.  Ce bulletin illustre la richesse de nos activités, la persévérance des membres de notre faculté.  Malgré la pandémie, nous continuons d’avancer.

La vie continue, mais différemment.  La pandémie nous force à travailler de la maison, laissant notre beau pavillon pratiquement vide.  Nous sommes plus isolés et nourrissons plus difficilement le sentiment de faire partie d’une communauté.  Cela est vrai en particulier pour les nouveaux étudiants et les nouveaux employés et professeurs qui ne peuvent bénéficier de tous ces moments formels et informels qui permettent de tisser des liens.  Quand nous nous rencontrons, c’est soit par écrans interposés, soit derrière des masques et en maintenant nos distances.  Tout cela nous pèse.  En même temps, les médias électroniques nous permettent d’augmenter l’étendue géographique et sociologique de nos réseaux et d’entrevoir de nouvelles manières d’apprendre et de travailler. 

La vie continue, mais pas pour tout le monde.  La communauté de la Faculté de l’aménagement vient de perdre l’un des siens.  Le professeur honoraire Jean-Paul Guay est mort de la Covid-19 le 7 octobre.  Cet homme érudit, produit d’une éducation classique, qui participa aux grands chantiers de l’urbanisme montréalais des années 60 et qui fut professeur à l’Institut d’urbanisme dans les années 70 et 80, a malheureusement été infecté par une personne qui était venue prendre soin de lui. 

Un des défis que pose la COVID-19 est le fait qu’elle peut être transmise par des personnes qui ne présentent aucuns symptômes.  Mais neuf mois après l’éclosion de la pandémie et sept mois après son arrivée chez nous, je ne peux m’empêcher de penser que la propagation de la maladie et les morts qu’elle continue à faire sont aussi dues à un manque de discipline collective : manque de discipline des autorités publiques dans l’instauration de programmes de dépistage et de traçage et dans l’instauration de mesures sanitaires basées sur les connaissances scientifiques les plus récentes, manque de discipline de certains dans l’application de ces mesures.

Le mot « discipline » a souvent mauvaise presse.  Le terme a plusieurs significations à connotations négatives.  Discipliner veut dire châtier, corriger.  Nous ne concevons plus la sanction de cette manière ; nous ne voulons plus punir, par peur de porter atteinte à l’estime de soi.  La discipline est aussi un code de conduite ou une habileté à respecter un tel code.  Élèves de Foucault, nous nous érigeons contre les institutions disciplinaires et les contraintes qu’elles imposent aux individus.  Le spectre d’une société hyper-contrôlée par les nouvelles technologies de l’information, de la communication et de l’intelligence artificielle nous effraie, à juste titre.  Une discipline, finalement, c’est un domaine de connaissances, de pratiques et d’apprentissage, souvent lié à une profession.  Le mot d’ordre aujourd’hui est de favoriser l’interdisciplinarité ou la transdisciplinarité.  Les disciplines sont vues comme des « silos », l’héritage d’une pensée obsolète qui simplifie ce qui est complexe, qui sépare ce qui est uni.

Bref, dans tous ces sens, la discipline est vue comme un carcan, une contrainte.  Or, la discipline, c’est aussi la rigueur sans laquelle il n’y a pas d’excellence.  Sans effort constant, dans lequel on concentre ses énergies et son attention de manière contrôlée, on ne s’améliore pas, on ne dépasse pas ses limites.  Sans planification raisonnée, dans laquelle on choisit ses cibles, on sélectionne ses moyens d’action, on agit de manière concertée et on corrige le tir selon les résultats obtenus, on n’atteint pas ses objectifs.  Ces observations valent aussi bien pour les disciplines de l’aménagement que pour celles des sciences humaines, des sciences sociales ou de la santé.  Pour assurer la stérilité des salles d’opération, il faut des protocoles stricts, suivis de manière disciplinée.  Pour que la pandémie soit contrôlée et fasse moins de victimes, il faut des politiques rigoureuses, cohérentes, visant le long terme, traduites elles aussi en des protocoles stricts suivis de manière disciplinée. 

À la Faculté de l’aménagement, nous visons l’excellence et accordons des prix à ceux qui l’atteignent.  Nous ne le disons pas en ces termes, mais nous favorisons une certaine discipline dans le travail, un travail assidu et réflexif.  Nous avons aussi pour ambition d’améliorer la qualité de vie des gens, donc aussi leur santé.  Il nous incombe de lutter contre le coronavirus en tant que designers industriels, designers d’intérieur, architectes, architectes paysagistes et urbanistes, en utilisant nos connaissances et notre créativité pour augmenter notre résilience face à la pandémie et aux pandémies futures.  Parce que la vie continue, avec ses défis et ses opportunités.  Il nous incombe aussi de faire notre part à titre de citoyens et citoyennes, en s’informant sur les risques encourus et les mesures à prendre, en suivant ces mesures de manière responsable et en encourageant les autres à le faire.  Parce que la vie doit continuer pour tous.

En ce temps de pandémie, nous ne pouvons pas honorer la mémoire d’un ancien collègue en nous réunissant pour faire des discours.  Mais nous pouvons faire mieux.  Nous pouvons célébrer sa vie en faisant ce qu’il prônait en tant qu’enseignant et en tant que citoyen engagé : œuvrer pour faire des villes plus justes, où les différentes générations trouvent leur place, où les espaces verts, les équipements collectifs et les services publics sont accessibles à tous et à toutes, où l’architecture, le design et le paysage enrichissent la vie de chacun.

Raphaël Fischler